La soirée s’annonçait plutôt pas mal. On aurait dit que le programme envisagé était un rituel, une routine presque. Pourtant rien dans la personnalité d’Avery Strauss n’était une routine. Disons plutôt que l’imprévu bien programmé avait de très bons effets sur lui. Il avait peu l’occasion de faire ça ces derniers temps. Jon et lui croulaient sous les rendez-vous professionnels. La marque « Weed’ô » prenait de plus en plus d’importance chaque jour qui passait. Autant dire qu’Avery saturait complet à la vue de ces costards-cravates aux culs serrés, prêts à leur vendre père et mère pour faire partie des actionnaires majoritaires de sa boite. « C’est l’business, vieux. » lui répétait Jon. Il aurait fait n’importe quoi pour éviter tous ses lèche-bottes qui trois ans plus tôt leur fermer les portes à l’investissement. Qu’ils rampent, Avery adorait ça. Ils s’en sortent très bien sans eux, d’après lui, alors il fallait continuer à les faire traîner. En ce point, ils étaient différents, Jon et lui, pour ce genre de choses. Mais Avery se fiait à son p’tit con d’associé. Il ne mettait pas le nez dans les dossiers, grand bien lui fasse d’ailleurs. Et Jon trempait le nez certes, mais ne touchait pas au jardin du barbu. Donnant, donnant. Les règles avaient pris leur tournure tout naturellement, et cela marchait aussi très bien comme ça depuis trois ans.

Fuck le boulot, de toute évidence.
Réalité d'merde.

Pour le moment il avait son sac tout chaud de poulet teriyaki dans une main, cela va s’en dire qu’il avait pris une carte fidélité chez le japonais succulent de Glen Park Avenue. L’autre main était occupée à ouvrir la porte d’entrée de la villa. Le côté bling-bling, c’était pas vraiment son truc à Avery mais cette maison était plus un grand loft aménagé avec goût qu’un palace hollywoodien. C’était spacieux c’est vrai et sa fierté régnait dans cette magnifique véranda reconvertie en serre privée qui s’ouvrait ensuite sur une terrasse et une piscine. Le jardin secret. Bien que ça ressemble plus à une jungle amazonienne où la senteur n’a d’égal que le rêve et la liberté. C’est en sifflotant qu’il passe le pas de la porte, tout en refermant bruyamment derrière lui. Soudain, un bruit de pot cassé retentit avec fracas, et à la fois lointainement sourd dans le noir de la maisonnette. Avery se figea un instant. Pas question de laisser le teriyaki refroidir. Guidé par ses sens, il sembla déjà savoir d’où venait le bruit. Ses pas l’induisent rapidement vers son sanctuaire. Pas vraiment effrayé pour deux sous, plutôt agacé contre lui-même en fait, Avery entra dans la serre d’un pas feutré. Quel con… il savait qu’ça l’perdrait un jour de ne jamais verrouiller la porte de la véranda. Quelque part, c’était comme s’il avait toujours attendu l’intrus qui viendrait une nuit pour lui dérober ses graines. Un enfant devant un nouveau jouet. Prêt à discuter plantes et renvoyer l’intrus à coup de pieds au cul. Un délice. Mais quelle ne fut pas sa surprise quand il alluma l’interrupteur pour découvrir une petite brune toute gênée en essayant de ramasser la poterie et la terre éclatées sur le sol. Il ne s’était pas attendu à trouver une voleuse de toute évidence, aussi frêle et séduisante soit-elle. Stéréotype quand tu nous tiens. « T’as pas franchement géré princesse… c’était ma nouvelle expérience… j’en ai chié pour avoir ses graines. » Avery ne put s’empêcher de sourire et la laissa quelques secondes patauger dans la mélasse de cet instant T. Ça lui plait. Elle est intrigante la vagabonde. Elle a du culot aussi. Ça lui plait encore plus. Et elle a des yeux à se taper le cul parterre. Faut l’avouer, c’est beau.

Pendant c’temps, le teriyaki refroidit, buddy…

(c) AMIANTE